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[Nouvelle] Les histoires tordues (ou pas ^^) de Sae


Saekun
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Sommaire

 

 

Poupée Tordue

 

« Le crime c’est comme le piano, faut commencer tôt si on veut parvenir à une certaine virtuosité » Asuka Fujimori (Nekotopia)

 

 

L'enfant est là.

Immobile.

Paisible.

 

Des yeux, elle redessine chacune des constellations. C'est toujours le même plafond bleu-nuit. La même mer lumineuse. Mais elle est seule sur le tapis moelleux. L’enfant ne le sait pas encore, mais les couleurs de l’aube emporteront bientôt tout avec elles, ne laissant qu'un vide obscur. Une blessure ouverte. Une fissure par laquelle la noirceur envahira son corps. Mais pour l'heure elle rit, espiègle, emplie d'un sentiment de victoire. Elle voulait ses jouets. Elle voulait ses amis. Elle me voulait moi. Mais plus que tout elle désirait sa robe. Une robe de princesse. Blanche. Perlée de bleu. Légère au vent. L'enfant retire son costume, déchire le tissu, arrache les boutons. Elle ne veut plus être le chat. Elle ne l'a jamais voulu. Elle veut être la princesse. Elle enfile la robe et ses yeux sourient. La robe est tachée, mais ce n'est pas grave, maman pourra tout effacer. Elle virevolte et le jupon s'envole.

 

L'enfant est là.

Immobile.

Colérique.

 

Elle vient me voir tous les jours dans cette pièce désaffectée rien qu'à elle à présent. Dehors les adultes s'inquiètent entre les cris et les larmes, mais ça ne la concerne pas. C'est une affaire de grandes personnes comme ils disent. Ce matin elle ne sourit pas. Ses mains sont en sang. Elle griffe, elle mord, mais c'est en elle. À l'intérieur. Omniprésent. Comme un millier d'insectes grouillant sous sa peau. Elle fronce le nez. L'odeur est toujours là. Plus forte. Elle s'accroche, imprégnant les murs et les jouets. Elle n'aime pas ça. Furieuse elle mordille sa joue. Je tourbillonne dans un nuage de poussière et perds une chaussure. Elle me tire par les cheveux, me traîne sur le sol puis me lance une seconde fois. Mon corps se tord. La colère déforme son doux visage et ma tête s'écrase sur le coffre en bois. Mes yeux se ferment. Elle piétine mon ventre. Mes yeux s’ouvrent. Tout autour de moi gisent inanimés mes compagnons de jeux. Les membres arrachés. Éparpillés.

 

L'enfant est là.

Immobile.

Terrifiée.

 

Ses yeux fixent le mur, sa bouche tremble. L'ombre est là. Elle grandit, s'étend sur le plâtre blanc. L'ombre la regarde. L'enfant frappe de toutes ses forces, fait saigner ses ongles sur le mur, mais rien n'y fait. Les yeux opalins brillent dans l'obscurité. Fixes. Hypnotiques. L'ombre avance. Le sourire ondoie et les lèvres pourpres s'entrouvrent sur un cri silencieux. Les jambes de l'enfant plient sous son poids, son corps s'affaisse sur le sol. Ses mains glissent sur quelque chose de visqueux. L'ombre est si près qu'elle pourrait la toucher. Mais ce n'est pas une ombre. Elle tend la jambe et l'effleure. C'est palpable. Réel. C'est un corps. Presque nu. Un peu tordu. Un corps d'enfant. La peau sans couleur, froide comme une poupée. L’enfant s'écarte du mur, rampant vers moi. Elle me serre contre son ventre et ses petits doigts s'entremêlent dans mes cheveux. Une larme glisse sur sa joue, puis une autre. Elle pleure. Elle hurle. Les deux à la fois. Mais demain elle sourira.

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  • 3 months later...

C’est un texte qui peut se lire seul donc pour le moment je le poste comme étant une « courte nouvelle », mais à l’origine c’est le prologue d’un "roman".

 

Imparfaite Mélodie

 

Adossé contre les pierres froides de la cheminée, Eden reprend son souffle. Les battements de son cœur pulsant dans ses veines emplissent sa tête d'un bourdonnement douloureux. L'air froid et brumeux de décembre s'infiltre entre les carreaux brisés, déposant des gouttelettes d’humidité dans ses cheveux. D'une main tremblante il dénoue sa cravate. Le morceau de tissu glisse sur le parquet. Touche de couleur sur le bois sombre. Maladroitement il retire sa chemise. Le frottement du tissu sur son dos meurtri lui arrache une grimasse de douleur. Un à un il retire ses vêtements, les éparpillant sur le sol au grès de ses mouvements. Le corps et le cœur mis à nu. C’est comme ça qu’il compose.

 

Ses yeux bleu-gris sillonnent lentement la pièce se posant ici et là. Rien n'a changé. Les guitares accrochées au mur de briques rouges. Les affiches de concert. Couleur bleu-noir. Toujours. Le micro tourné vers le ciel. Glorieux. Les photos. Les vinyles éparpillés sur le sol. Tout est à sa place. À l'identique. Immobile. Comme imprimé sur du papier glacé. Mais en lui quelque chose grouille. Une douloureuse sensation. Elle danse au creux de son ventre. Impatiente. Elle sautille jusqu'à sa gorge et brûle ses yeux. Eden croque la chaire tendre de sa joue. La chose se dilue dans le liquide vif qui colore sa langue.

 

Le sifflement du vent écorche les oreilles du jeune musicien. Foulant du pied un amas de cendres froides il écrase ce qui reste des lambeaux d'une partition. Ses pieds nus marchent sur du verre. Les morceaux brisés pénètrent sa peau, mais il continue d'avancer. Pas de douleur. Juste une sensation de picotement et une chaleur diffuse. Presque agréable. Ses jambes effleurent les draps blancs qui recouvrent le mobilier. Un rat, ou peut être une souris, se faufile entre ses pieds. Contrarié, Eden envoie valser l'invité non désiré d'un violent coup de pied. L'animal gris clair, presque blanc, couine en tournoyant dans l'air, mais s'écrase contre le mur sans un bruit. Sans une goutte de sang. La bouche d'Eden se déforme de dégoût. Et devant ce petit corps qui glisse vers le sol une pensée fugace germe dans son esprit. Demain il amènera Manfred. Le vieux matou se fera un plaisir de jouer avec les petites créatures.

 

Doucement, Eden fait glisser l'une des étoffes dévoilant un Pleyel de cent ans d'âge. Il caresse le cuir lacéré du piano-bench. S'attarde sur chacune des fissures. Repousse poussière et toiles d'araignées avant de s'y asseoir. Des nébuleuses de notes explosent dans sa tête. Un à un il retire les bandages qui recouvrent ses deux mains laissant apparaître une multitude de coupures. Fines blessures à peine refermées. Les premières notes résonnent, s'envolent, emplissant chaque espace vide. Mesure après mesure, les doigts d'Eden glissent sur les touches usées. Une mélodie aux accords fragiles. Une chanson sans paroles. Les notes s'enchaînent et s'entremêlent. Ses lèvres gercées s'entrouvrent. Cherchent les phrases. Les mots. Mais il n'y a rien. De rage ses doigts s'écrasent violemment sur les touches. Le piano hurle toute sa douleur. L'ivoire se teinte de pourpre. La dernière note s'écrase contre les murs de béton. Faible écho d'une mélodie imparfaite.

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